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lundi 24 décembre 2012

Critique littéraire de "L'âme soeur", de Florence Houssais

Marcia Marques Rambourg, auteur de "Quadrilatère", nous offre cette critique littéraire de "L'âme soeur", de Florence Houssais





D’abord, il y a une espèce de préoccupation formelle dans la communication avec le lecteur: les remerciements qui précèdent le corpus de ce premier recueil de poèmes de Mme. Florence Houssais et les références des auteurs des images, cités, après le Sommaire, nous donnent cette sensation de rigueur de travail.

Ensuite, il y a la forme, elle-même ; le « corps » du livre. Quatre parties – ou quatre « instants de deuil » - illustrées par des photographies de famille ; par des moments intimes qui « dessinent » les poèmes, qui corporifient les textes, mêlés à une intimité ouverte, à une plaie infinie, indéfinie ; à une mort annoncée, inexorable. Quatre parties en parfaite dialectique, vécues dans une sorte de catharsis égoïste, ressentie dans cette étrange intimité familiale, volontairement étalée, qui nous est à la fois inconnue et voisine dans la possibilité des choses.

Cette disposition formelle de texte-photographie pourrait amener le « lecteur-critique » à un niveau de lecture (ou de coutume) poétique « étrange » ou non recherché dans un recueil de poèmes : le journal intime, ou la vie racontée telle quelle ; l’autobiographie, la « non-métaphore »...

Mais il y a le travail, l’élaboration et la manipulation du matériau verbal, il y a le réel transformé dans la Mémoire, « ouvert », présent, revisité, redéfini. Il y a de ces nouveaux sujets qui naissent de notre lecture, désormais multiple ; de ces autres sujets, donc, de ces personnages qui dépassent les vers de Mme. Florence Houssais, parce que devenus nos personnages, nos vers, nos mondes possibles, notre empathie poétique. Il y a ce qu’Aristote appelle « puissance » : ce qui peut se passer, ce qui est possible dans le monde de chacun, ce que la Littérature est capable de donner ; le non-dit de l’image ; l’ombre de la Parole.

Page huit, Première Partie (« Ma sœur en vie »). « Évocation en noir et gris » : cinq distiques illustrés par une belle photographie. Cette introduction ouvre la porte d’un « Temps perdu » et de « L’enfant prodige », tous deux des brefs poèmes, tous deux après cette « Évocation » qui parle déjà d’un raccourci de cimetière. Tous deux parlant, bavards, nous coupent un peu la gorge, et donnent une sensation de deuil passager, une parole discrète, une lecture timide « Des frangines ».

Il y a, ensuite, une chute :

Pause

Assise sur la butte du jardin,
Tu réfléchis, le menton dans les mains.
Belles et longues jambes,
Sur l’herbe fraîche, tu es bien.
À quoi penses-tu ? As-tu du tourment ?
Rien ne sortira de ta tête.
Ne pas se livrer, ne rien dévoiler,
Tel est ton credo. Et ton mal,
Qui lentement se déploie, le sait bien.

Ou un bouleversement de l’horizon d’attente, comme nous rappelle si bien Antoine Compagnon. On entre dans le jardin de leur enfance. On s’assoit par terre, en face de la dame blonde de la photographie. On dessine ce personnage principal, en douleur, en souffrance ; on écrit un peu sur Soi, en étant à la fois voyeur, voyant, percevant et perçu, en interrogeant cette scène, en scrutant cette « Pause ».

Il y a cet « Aveuglement » de la Troisième Partie :

Je le savais que tu mourrais.
C’est à moi que toujours on l’annonçait
Puisque et ne voulais pas en parler.
(...)

J’aurais aimé qu’on me prévienne
Qu’il ne restait qu’une semaine.
J’aurais aimé qu’on me dise de profiter.
La vie est toujours rude
Pour ceux qui ont cette chance d’aimer. (p.62)

Cet aveuglement voyant ; cet oxymore qui nous frappe dans le temps de la lecture, dans le paysage naissant et mourant d’une vie catégoriquement « rude » pour ceux qui aiment. Il y a, en somme, ce que Michel Collot appelle la « matière-émotion ». Cette émotion poétique sans oublier la préoccupation poématique, la beauté sans oublier le travail.

Mme. Florence Houssais parle de Poésie. Elle le fait avec précision. Dans l’éloquence d’un personnage vivant et mourant, l’auteure nous fait entendre la voix d’un Temps vivant, d’un temps qui reste, de ce qui ressemble à la mort, au sort, à la vie, à la non-vie ; à la persistante absence d’un être aimé.

Le recueil de Florence Houssais parle de patience, de résignation. Autobiographique, il parle de moi, sans le savoir. Il évoque ce profond et mélancolique silence, ce je-ne-sais-quoi de douleur et de beauté encore innommables dans mon esprit.

J’avais promis, à l’auteur de L’âme sœur, une brève lecture de son œuvre, avant Noël. Ce ne fut certainement par politesse chronologique, mais par respect, par « Acuité » du texte parlant. Ou par cette fameuse empathie du temps révolu, du temps de la douleur, du temps du deuil de l’amour vacant, absent à l’espace sensible du corps. Ce fut par l’inadvertance d’un inconscient éveillé, à regarder le visage d’un être cher, « mourant », commun, « sur le marché/ », reconnu, peut-être un jour, « Dans les traits d’une dame âgée ».

Par Márcia Marques-Rambourg

24.12.2012

1 commentaire :

  1. J’ai conscience de la grande qualité de la critique littéraire de Mme Marcia Marques-Rambourg et de son caractère éminemment élogieux. Par respect pour cette lecture minutieuse et cette étude éclairée qu’elle a fait de mon livre, je souhaite ici lui répondre.

    Les remerciements et les références photographiques ont été écrits a posteriori. Ils sont empreints d’une rigueur formelle qui peut trancher avec le corpus à proprement parler. Un besoin de me rassurer, une impression de maîtriser, une facette un peu étriquée de ma personnalité qui se satisfait du travail bien fait.
    Le paratexte est académique et ne laisse pas forcément augurer du contenu de ce premier recueil qui n’a pas été prémédité et dont la rédaction en quarante jours s’est imposée à moi comme par miracle.

    Mes livres sont forcément cathartiques et j’avoue ne pas m’être vraiment préoccupée de la réaction de mes proches qui d’ailleurs ne m’ont rien reproché. J’ai eu l’impression de parler au nom de chacun mais c’est vrai que j’ai d’abord écrit pour me sauver du désespoir et pour rendre hommage à ma sœur.

    Le poème « Le besoin d’écrire » résume bien ces préoccupations.

    Ne pas écrire est devenu un manque.

    Je butine en journée
    Des petits morceaux de nos vies,
    Et le soir, je les confie au papier.

    J’avance à découvert sans garde-fou
    J’essaie de trouver la frontière
    Entre pudeur et impudeur.

    Un éditeur a d’ailleurs refusé mon manuscrit en disant de mes vers qu’ils étaient trop personnels, comme si la mort, le deuil et la souffrance n’étaient réservés qu’à une petite partie de l’humanité. En fait, je crois que mes livres se nourrissent humblement des propos des philosophes tels Montaigne, Pascal ou même Schopenhauer.

    « Vivre c’est apprendre à mourir » ; écrire c’est accepter l’idée de la mort d’autrui, de sa propre mort, celle de ses enfants ( ?) ; écrire c’est faire sienne l’idée de l’impermanence des êtres.
    J’ai compris que l’évocation des souvenirs revisités est le seul baume contre les plaies du Temps et qu’il faut partir comme Marcel Proust à la recherche de ce temps perdu en choisissant tour à tour son côté Swann ou Guermantes.


    J’ai recherché, comme Baudelaire, « le vert paradis des amours enfantines » dans le jardin de mes parents, quand la famille était encore au complet. J’avais déjà l’acuité poétique du caractère éphémère de ce tableau charmant, à jamais disparu, à jamais présent dans nos cœurs, à jamais revisité dans mes souvenirs.

    J’ai perdu ma sœur et j’ai écrit pour retrouver son âme. J’ai rencontré sur mon chemin d’autres âmes sœurs, d’autres sœurs de cœur.

    Madame Marcia Marques-Rambourg est devenue l’une d’elles.

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